Random phrase

mercredi 31 juillet 2013

Pendant ce temps là... (07/13)

Première édition d'une série (pour le moment ponctuelle) qui regarde ce qu'il se passe ailleurs sur la toile. Aujourd'hui, ça s'agite dans la blogosphère américaine sur les raisons de la faiblesse de l’inflation aux Etats-Unis.

Martin Feldstein, économiste de Harvard, explique dans un post récent sur Project Syndicate que la politique de Quantitative Easing (QE) de la Fed aurait dû conduire à une forte inflation et cherche à expliquer pourquoi celle-ci reste en fait obstinément faible

Son idée part d'une intuition formalisée par Milton Friedman : « L'inflation est toujours et en tous lieux un phénomène monétaire dans le sens où elle n’est et ne peut être créée que par un accroissement plus rapide de la quantité de monnaie que de la production ». En gros, trop d'argent en poche et pas assez de choses à acheter avec. Cet accroissement monétaire repose sur deux étapes qu’on simplifie ici :

1.    La banque centrale agit comme la banque des banques commerciales. Elle peut ainsi influer sur l’économie dans son ensemble en contrôlant la quantité de monnaie dans les comptes courants que ces dernières y détiennent
2.    Les banques prêtent de l’argent à leurs clients en fonction de leurs capacités de financement qui sont dépendent directement des réserves qu’elles détiennent auprès de la banque centrale. Comme elles prêtent plus qu'elles n'ont, cela démultiplie la quantité de monnaie en circulation dans l'économie.

Il faut quand même noter que le mécanisme de transmission monétaire est dans son ensemble assez mal connu. En tout cas, le QE est une façon d’agir sur la demande via la création de monnaie en utilisant le premier point. On s'attendrait donc selon cette caractérisation de l'inflation à la voir devenir galopante, vu l'ampleur du programme.

University
Harvard, le charme suranné de la Nouvelle-Angleterre
Or, ce n'est pas franchement le feu d'artifice, avec une inflation américaine qui oscille entre 1 et 2%. D'après Feldstein, la courroie de transmission est en fait cassée parce que depuis 2008 la Fed paye des intérêts sur les excédents de réserves des banques commerciales. Ces dernières auraient donc selon cette logique tout intérêt à placer leur argent sans risque auprès de la banque centrale plutôt que de le prêter dans l'économie.

Pourtant, c'est clairement du n'importe quoi comme l'explique rigoureusement ce post de Noah Smith du blog Noahpinion. En effet, Feldstein se garde bien (et c'est assez étonnant pour être souligné) de dire que le taux en question est de 0,25%. Il est donc très faible : pour donner un ordre de grandeur, le nouveau taux du livret A en vigueur dès le 1er août (et qui fait tant jaser) est cinq fois plus grand à 1,25%. Autant dire que la Fed paye des clopinettes…

L'argumentaire de Feldstein se ramène donc à cela : ce qui empêche les banques de prêter, c'est le fait de pouvoir gratter 0,25% auprès de la Fed, et que donc le choix entre soutenir ou non un projet d'investissement se joue sur un différentiel de rendement ridicule...

Une explication réaliste de l'absence d'inflation repose plutôt sur le deuxième point, en constatant simplement que les banques d'une part ont peur de prêter dans un contexte économique incertain, et que d'autre part, elle doivent se désengager de leurs investissements précédents et renflouer leurs pertes avant de pouvoir repartir de l'avant. 

En résumé, il ne faut pas tout prendre pour argent comptant, Harvard ou pas !

PS : Ce taux d'intérêt, qui répond au doux nom de Interest On Excess Reserves (IOER) est potentiellement quand m
ême une variable importante, mais pour le financement bancaire et non pour l'inflation. On s'y intéressera dans un autre post en plongeant dans les méandres de l'interaction entre les money markets (un marché à plusieurs millions de milliards de dollars qui est au cœur de la crise) et les banques centrales.

lundi 29 juillet 2013

Japon (II) - Pas de senzu pour les Gaijin

On l'a vu dans le post précédent, le Japon est en plein chambardement économique. Même s'il est encore un peu tôt pour savoir si ces mesures radicales porteront leurs fruits, ces bouleversements chez un des titans de l'économie mondiale auront forcément des répercussions chez nous. Mais au-delà des conséquences, espérons-le positives pour l'Europe et la France, quelles sont les leçons à en tirer pour nous sortir de notre propre ornière ?

La nuit des morts-vivants

Le cas du Japon est clairement intéressant pour l’Europe et la France, car c’est aussi une terre de traditions, avec un modèle social fort, faisant face à une économie mondialisée et au vieillissement général de sa population.

Mais au-delà de ces similitudes sociologiques, l’aspect économique est aussi très pertinent : le déclencheur de la crise à la fois au Japon dans les années 90 et en Europe dans les années 2000 a été un choc financier violent et soudain. Celui-ci a poussé les emprunteurs à réduire leur dette tous en même temps. Or si tout le monde cherche la sortie en même temps, tout le monde n'arrivera pas à franchir le pas de la porte simultanément, surtout qu'en parallèle les épargnants souffrent de la baisse de la valeur de leurs actifs. La conséquence directe de tout ceci est une réduction de la demande et de l'activité économique, qui se traduisent ensuite en un surendettement chronique auquel il est difficile d’échapper.

jumping chinese vampire 5
Grrr, je suis une banque zombie japonaise. Grrr...
Ce point inquiète les économistes surtout au travers de son impact sur le secteur bancaire au vu de l'histoire récente du Japon. Les banques ont en général deux choix face à l'endettement de leurs clients qui sont de moins en moins en mesure de rembourser leurs emprunts : soit elles reconnaissent immédiatement une perte en se rendant à l'évidence qu'elles ont peu de chances de revoir leur argent, soit elles gardent le prêt sur leurs comptes en attendant des jours meilleurs. Pour les banques japonaises le choix est clair : l'evergreening, le reverdissement permanent, est un procédé par lequel elles reprêtent aux clients défaillants pour les maintenir à flot de façon artificielle. Ceci a en particulier pour conséquence de garder en activité un certains nombres d'entreprises qui sont en pratique en faillite et qui sont surnommées "zombies".

mercredi 24 juillet 2013

Japon (I) - La promesse de l’aube

Trop c’est trop, le Japon stagne depuis trop longtemps, il va falloir agir. Shinzo Abe, le premier ministre japonais, a pris cette année le problème à bras le corps, en tirant ce qu’il appelle ses trois flèches : une politique monétaire vraiment offensive, un plan de relance massif et des reformes structurelles en veux-tu en voilà. Avec un plan de cette envergure, on fait vraiment un saut dans l’inconnu au pays du Soleil Levant : dans ce premier post, c'est  Banzai sur la crise économique !

Réveiller Godzilla


Le Japon retrouve le sourire - (c) BeboFlickr
Au sortir des années 80, le Japon est LA nation en pleine bourre économiquement. Son industrie électronique est alors à la pointe, ses voitures font de la concurrence (parfois déloyale) aux constructeurs occidentaux les mieux enracinés et sa pop-culture prend le monde d’assaut. Par ailleurs, la bourse de Tokyo atteint des sommets stratosphériques, et le terrain sur lequel est bâti le Palais Impérial à Tokyo est, pendant un temps, le lopin le plus cher du monde. Bref, le décor est planté pour une bulle d’ampleur colossale qui n'a pas manqué d'éclater. En conséquence, depuis vingt ans, le pays souffre d’une croissance anémique, d’une déflation persistante, renforcées par le vieillissement de sa force de travail. Ce que les économistes anglo-saxons ont fini par nommer la Lost Decade (la Décennie Gâchée) au début des années 2000 commence à sérieusement durer.

Les trois formules du professeur Satō

Intervient Shinzo Abe, premier ministre japonais (pour la seconde fois) en 2013. Sa plateforme pour se faire élire ? La promesse de ramener la croissance au Japon, rien que ça. Pour y arriver, il propose d’attaquer le problème sur trois fronts, qu’il appelle ses trois flèches, car comme le dit la légende traditionnelle japonaise, si une flèche rompt facilement, trois flèches mises ensemble ne peuvent être brisées. Comme il ne lésine pas sur la communication, ses politiques reçoivent très vite le surnom « Abenomics ». Et vu qu’il s’agit en particulier de jouer sur la psyché du grand public, ça part plutôt pas mal.

La première flèche est la politique monétaire. En nommant Haruhiko Kuroda à la tête de la banque centrale du Japon (BoJ), Abe promet de rompre avec les frileuses politiques monétaires du passé. Kuroda, lui, a frappé fort dès ses débuts à tel point que certains commentateurs parlent même d’une BoJ qui atomise le marché des obligations japonaises, sur une échelle jamais vue dans l’histoire des banques centrales. L’objectif premier est de créer de l’inflation pour pousser les gens et les entreprises à ouvrir leur portemonnaie. Car, net d’une inflation négative, les taux d’intérêt (réels) sont positifs1, ce qui fait que depuis vingt ans les Japonais ont intérêt à laisser leur argent sur leur compte courant plutôt que de le dépenser ou de l'investir.

La deuxième flèche est une politique de relance à hauteur de 90 milliards d’euros. Les commentaires se font ici moins nombreux dans les médias, malgré la taille du stimulus, car les prédécesseurs d’Abe ne se sont jamais privés pour injecter de l’argent qu’ils n’avaient pas dans des projets sans avenir ou pour entretenir leurs connections politiques. D’autant plus que ceci n’est pas sans risque, car le gouvernement japonais est déjà endetté à hauteur de 230% de son PIB.

Mini-Meiji

C’est la troisième flèche, celle des réformes du tissu économique, qui est potentiellement porteuse d’un vent nouveau pour le Japon. Comme on le sait, il s’agit d’un pays de tradition, culturellement sophistiqué, qui fonctionne en partie en circuit fermé à cause d’importantes barrières à l’entrée (dont par exemple la langue) et avec une organisation sociale très complexe. Cette dernière cherche à concilier des valeurs traditionnelles avec une économie tout ce qu’il y a de plus capitaliste, ce qui engendre des comportements pour le moins extrêmes. Par exemple, grâce à/à cause d’une forme de paternalisme des grandes entreprises, l’emploi est maintenu coûte que coûte, ce qui fait que le taux de chômage est traditionnellement bien plus bas qu’en Europe, mais au prix d’un mal-être au travail très fort. Typiquement, au lieu d'être licenciés, les employés indésirables sont littéralement mis au placard dans des oidashi-beya, des pièces de bannissement, où ils ne font qu'attendre la retraite…

Les chantiers sont nombreux : l’emploi des femmes, le morcellement excessif des terrains agricoles et l’immigration sont aussi des domaines où le Japon pourrait gagner en changeant son mode d’organisation.

Il s’agit donc là d’impulser une nouvelle politique industrielle et économique. Cependant ces bouleversements courent le risque de ravager la structure de la société. D’aucuns comparent ces réformes à la révolution libérale de Reagan et Thatcher dans le monde anglo-saxon au début des années 80, qui a ouvert la voie à trente ans de croissance stable, mais en entraînant dans son sillage une augmentation très forte des inégalités sociales.

En tout cas, à l’heure où cet article est posté, Shinzo Abe vient de gagner une majorité dans les deux chambres de la Diète, l’assemblée japonaise, ce qui lui donne un mandat pour continuer de réformer. Va-t-il réussir à secouer le Japon hors de sa torpeur ? Il est probablement trop tôt pour le dire, mais les premiers signes semblent déjà encourageants2.

Dans un second post, on reviendra plus près de chez nous, pour savoir quels enseignements et quelles conséquences tirer des événements au Japon.

Pour en savoir plus : Un très bon podcast de Noah Smith du blog Noahpinion sur FTAlphachat, le podcast du blog du financial times.

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1 Normalement, si l’inflation est positive, la valeur réelle de l’argent qui n’est pas placé s’érode au fur et à mesure du temps, car €1 demain permet d’acheter moins de biens et de services qu’aujourd’hui.

2 L’attaque semble pour le moment au moins porter ses fruits sur le front des exportations : les annonces ont eu pour effet de faire baisser le Yen ce qui fait baisser le coût des produits japonais par rapport au reste du monde et améliore leur compétitivité.