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dimanche 16 octobre 2016

Cinq jours par semaine

C'est sûr, en France, on ne glande rien, surtout du point de vue de nos camarades britanniques. Plus sérieusement, la question du temps de travail est l'une des lignes de clivage conventionnelles dans la politique française : à l'approche de la Présidentielle 2017, retour sur cette semaine de 35 heures que la droite veut détricoter et que la gauche veut sanctuariser.

Travailler moins pour gagner plus ?

On rappelle souvent que dans les années 30, Keynes projetait que la semaine de travail diminuerait au point de durer à peine 15h d'ici à 2030. A 14 ans de l'échéance, le monde du travail en France ne ressemble pas à ce qui était attendu : certains travaillent trop et ne peuvent prendre tous leur congés, d'autres sont fondamentalement insatisfaits de leur boulot, et une trop large proportion est sans emploi de façon persistante. Qu'auront donc apporté les 35h pour réaliser la vision de Keynes? Et faut-il les détricoter ou les sanctuariser ?

D’abord rappelons le principe simple qui a motivé la mise en place des 35 heures : si on suppose qu'il y a un stock d'heures travaillées fixe en France, alors la réduction de la durée maximum du travail permettrait de partager ces heures avec les sans-emplois. Pour illustrer ceci, si une entreprise a besoin d'employer 100 heures de main d'œuvre, elle peut, à l'extrême, soit employer une personne 100h ou employer 100 personnes une heure chacune. Pour un bon résumé de cette vision, voir ici.

Homo economicus des 35h
Malheureusement cette vision est un poil simpliste ne tient pas compte de la façon dont les entreprises et les travailleurs vont modifier leur comportement face à changement de règle.



En effet, il y a un certain nombre de frictions auxquelles se heurtent cette théorie :
  • Premièrement, la productivité n'est clairement pas figée, c'est-à-dire que pour une quantité d'heures données, la production d'un même travailleur ne sera pas toujours la même. En effet, la productivité peut varier de façon temporaire (selon la motivation de l'employé ou encore selon le carnet de commande de l'entreprise), ou bien changer de façon permanente (avec par exemple l'évolution des procédés de fabrication). C'est ce qu'on appelle la marge intensive.
  • Ensuite, la durée légale du travail en France n'est pas un maximum absolu, mais plutôt un seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Par conséquent, divers mécanismes (heures supplémentaires, congés non pris...) font que nombre de gens travaillent normalement plus de 35h1. C'est ce qu'on appelle la marge extensive.
  • En poussant la logique à son extrême, vu que le taux de chômage s'exprime par rapport à la population active (c'est-à-dire l'ensemble des personnes qui ont un travail ou en recherchent un), on pourrait aussi aussi attaquer le problème en réduisant la taille de cette dernière. Mais ceci nous amène à des considérations erronées telles que "les étrangers prennent les jobs des français" ou "les femmes devraient rester à la maison car elles prennent les emplois des hommes". En effet, il y a un effet global, dans lequel le travail crée de la richesse qui crée de l'emploi et ainsi de suite, qui fait que ce genre de réflexion de premier ordre n'a pas de sens.
  • Il y a aussi d'autres considérations plus marginales mais tout aussi concrètes. Par exemple, dans l'illustration que nous avons utilisée plus haut, gérer cent employés n'est pas pareil que d'en gérer un seul. Il y a donc une augmentation des coûts de gestion du personnel qui est un frein au partage strict du travail. Et par ailleurs, la répartition des horaires de travail peut être envisagée pour des tâches qui peuvent être découpées (travail à la chaîne) ou substituables (caissier, call center). Mais sur des missions de projets, par exemple en informatique, dans le relationnel ou dans le management (vous imaginez un chef différent chaque jour de la semaine?), il faut de la continuité sinon il y a clairement une perte d'efficacité et de qualité qui est là encore un frein au partage du travail.
Ainsi la théorie économique mainstream, qui essaye de tenir compte des facteurs ci-dessus, prédit qu'il n'y a rien d'automatique à la réduction du chômage suite à une réduction de la durée légale du travail, à cause de l'adaptation des comportements des entreprises et des travailleurs à leurs nouvelles contraintes.

La pratique des 35h

Nous avons jusqu'ici tracé à grands traits certains facteurs qui peuvent entraver la réalisation parfaite du partage du temps de travail dans le but de réduire le chômage. Examinons maintenant quelles ont été les conséquences du passage de la semaine de 39h à celle de 35h, en rappelant tout d’abord quelques faits :

  • Dans de nombreux cas (au moins pour les employés en CDI), la réduction du temps de travail ne s'est pas traduite par une réduction des salaires. C'est le fameux concept des 35 heures payées 39. Ceci devrait logiquement avoir un effet négatif sur l'emploi en raison de l'augmentation du coût du travail.
  • La mise en place des 35h s'est accompagnée de réductions de charges patronales sur les bas salaires et de limitations sur les heures supplémentaires, ce qui est censé avoir un effet bénéfique sur l'emploi
  • Les négociations collectives ont mené à l'adoption accrue de dispositifs de flexibilisation du travail tels que le Compte Epargne Temps, le forfait cadre et la modulation de la durée du travail, ce qui est aussi censé avoir un effet bénéfique sur l'emploi
Mises bout à bout, ces mesures ont eu un impact estimé entre 320 et 350 000 emplois créés, qui seraient principalement attribuables aux allègements de charges et à la flexibilité accrue, même si la modération salariale lors de la décennie qui a suivi l'entrée en application de la loi a dû atténuer certains effets négatifs initiaux. Il semblerait donc que dans l'ensemble, la théorie de la réduction du chômage par la réduction du temps de travail soit bel et bien une vision simpliste qui néglige des facteurs importants. Ceci est aussi cohérent avec l'expérience internationale.


Un choix de société

Par conséquent, chez Economiam, vu l'impact plus qu'ambigu des 35h sur le chômage, on pense que c'est avant tout un choix de société sur le temps que nous voulons passer au travail. Certes, les économistes prennent position, comme Artus, Cahuc, Zylberberg dans leur rapport au Conseil d'Analyse Economique : « ce rapport préconise que la législation du temps de travail en reste à ces deux objectifs originels : protéger les travailleurs [de l'exploitation] et favoriser la coordination des emplois du temps. » Mais le choix de savoir combien de temps nous devons travailler reste profondément entre nos mains comme le rappelle Jean Tirole dans son livre récent Economie du bien commun : « Entendons-nous bien : les économistes ne prennent jamais parti sur la question de savoir si l’on devrait travailler 35, 18 ou 45 heures par semaine. Il s’agit là d’un choix de société…et des personnes concernées. »

Il faut cependant bien garder à l'esprit que ce choix doit mettre en balance ses coûts et ses avantages. Au rayon des avantages, on pourrait envisager un idéal à la Piketty comme dans son livre Le Capital au XXIe siècle, dans lequel le temps libre permet de se consacrer à son édification personnelle et à sa santé. Ca sonne complètement bobo Rive Gauche mais il y a là quand même un point important : celui de l'insatisfaction au travail. Clairement, certaines personnes travaillent trop, tandis que le chômage de masse crée pour d'autres de l'anxiété et les pousse dans des jobs qu'ils détestent. On pourrait espérer que le choix collectif de passer moins de temps au travail augmente le bien-être général d'une part, et qu'il y ait moins de démotivation et donc augmente la productivité d'autre part. Mais il y a pourtant bien des coûts à choisir de travailler moins et de partager le temps de travail :

  • En premier lieu, il y a souvent beaucoup de pression au travail car les travailleurs (souvent des cadres ici) disposent de moins de temps pour effectuer les mêmes tâches.
  • Ensuite, si l'on tient compte du désir de la majorité des français de travailler moins, on voit que la réduction du temps de travail mène naturellement à la réduction du nombre global d'heures de travail (et non simplement à sa redistribution à niveau constant, qui est la prémisse que nous avons suivie jusqu'ici). Mais il faut alors voir que moins de travail veut dire moins de revenus à productivité constante. Pour maintenir notre niveau de vie et notre position dans le monde (dont on entend beaucoup les gens se plaindre), il faut alors choisir des politiques économiques en conséquence, pour essayer d'augmenter la productivité pour compenser la perte de revenus. Cela suppose:
    • Soit d'augmenter l'intensité du travail mais donc potentiellement le stress au travail comme nous en avons parlé
    • Soit de monter en gamme, mais il faut alors augmenter le niveau de formation de l'ensemble des travailleurs et donc un programme ambitieux de formation initiale et continue
Pour conclure, chez Economiam on pense que les prédictions de Keynes ne pourront se réaliser que si l'on poursuit une politique cohérente avec nos choix de société. On peut travailler 35h, mais il faut le faire bien, et ça ne sera pas de tout repos !

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1. On trouvera une exposition plus longue de ces deux premiers points dans ce rapport d'Artus, Cahuc et Kramarz

mardi 4 octobre 2016

Coase-ons un peu de la loi travail


On a bien rigolé sur la branche professionnelle des guides amazoniens et ses six membres de même que sur l'unique membre de la branche des salaisons de morue du canton de Fécamp mais c'est l'arbre qui cache la forêt (amazonienne). La loi El Khomri se veut une loi de modernisation du travail en France. Or son contenu ainsi que les débats qu'elle suscite se fixent sur une organisation sociale qui appartient plus au monde perdu des Trente Glorieuses qu'au XXIe siècle.

Le monde d'antan

Le système de protection sociale français a été bâti dans un monde bien différent de celui d'aujourd'hui, un monde dans lequel le salariat était la principale relation entre travailleurs et entreprises1, et que l'on supposait se maintenir à vie. La réforme du code du travail, dite loi El Khomri, se fonde pour une large part sur ce paradigme, pérennisant par la réforme de nombreux aspects de cette organisation.

De prime abord, cela semble raisonnable, les chiffres de l'Insee montrant qu'aujourd'hui encore 90% des travailleurs sont des salariés, proportion qui est plutôt stable depuis les années 80. Nous allons cependant nous avancer un peu et émettre l'hypothèse qu'il y a une tendance de fond à la diminution de l'emploi salarié en France.

Salarié ou auto-entrepreneur ?

Mais pourquoi les entreprises ?

Pour comprendre ceci, nous devons nous poser une question fondamentale : pourquoi organise-t-on le travail par le biais des entreprises ? Celui qui s'est le premier posé la question est l'économiste britannique Ronald Coase (Prix Nobel d'économie en 1991) dans un article de 1937 intitulé "The Nature of the Firm". Il y constate qu'il n'y a rien d'évident à ce fonctionnement centralisé, avec un noyau auquel se rattachent les employés ainsi que différentes fonctions productrices et de support. Par exemple une entreprise pharmaceutique va en général se composer de laboratoires pour y développer des nouveaux médicaments, d'usines pour les produire, d'un département des ressources humaines pour gérer les effectifs, etc. A l'inverse, Uber ne possède pas de voitures et n'emploie pas ses chauffeurs directement. Ainsi pour Coase, les entreprises vont effectuer en interne les fonctions qu'il serait moins efficaces de sous-traiter.

On peut alors interpréter les conséquences des règles très prescriptives du Code du Travail français à l'aune de cette intuition. La prémisse est que les entreprises vont naturellement recruter un salarié quand il est profitable pour elles de le faire, c'est-à-dire quand l'accroissement de chiffre d'affaires fait plus que couvrir les coûts d'embauche. Ce calcul doit tenir compte des conditions futures et notamment, il est possible que l'entreprise doive conserver un emploi du fait de la protection sociale alors même qu'elle ne trouve plus profitable. Le manque de flexibilité représente donc un coût, que les entreprises vont chercher à diminuer en entrant dans des relations contractuelles plus souples avec leur force de travail, par exemple en utilisant des prestataires (comme c'est souvent le cas dans les entreprises et dans les banques) ou une forte proportion de Contrats à Durée Déterminée (CDD). Ceci est bien sûr à mettre en équilibre, selon la logique de Coase, avec les effets négatifs d'une externalisation de l'emploi car avoir une main d'œuvre salariée permet de la fidéliser et de maintenir un savoir-faire, ce qui peut être plus rentable sur le long terme qu'une rotation permanente de travailleurs temporaires.

Dualité

Or le recours à cette flexibilité pose problème car les travailleurs qui ne sont pas en Contrat à Durée Indéterminée (CDI) ne bénéficient pas des mêmes droits et garanties que les autres. Les situations des travailleurs flexibles ne se ressemblent pas toutes mais on peut envisager un certains nombres de cas qui démontrent globalement cette inégalité de statut. On s'attend à ce qu'un travailleur flexible :


  • Subisse des variations de revenus beaucoup plus importantes selon sa capacité à trouver des missions (comme c'est le cas de beaucoup de jeunes peu qualifiés)
  • Subisse un déficit de formation du fait du manque de continuité dans l'emploi (comme par exemple une personne qui enchaînerait des CDD au petit bonheur la chance)
  • Ne bénéficie pas des mêmes droits aux chômage et à la retraite, soit à cause du manque de portabilité des droits d'un emploi à l'autre, soit parce que la responsabilité des cotisations est entièrement à sa charge (dans le cas des entreprises unipersonnelles), contrairement au côté automatique du CDI
  • Ne bénéficie pas des indemnités de licenciement (quand un emploi est détruit lorsque le CDD se termine, ou parce qu'un contrat de sous-traitance avec un auto-entrepreneur n'est pas renouvelé)
  • Ne bénéficie pas en pratique des congés maternité ou paternité
On pourrait continuer la litanie à y remplir plusieurs posts. Mais fondamentalement, ceci nous amène donc à cette question : comment assurer les mêmes droits aux travailleurs flexibles par rapport aux autres qui sont salariés en CDI ?

On propose !

Ce phénomène de differentiation entre travailleurs est ce qu'on appelle la dualité du marché du travail. Pour y remédier, certains économistes (et non des moindres) suggèrent une refonte complète du système actuel pour mettre en place un contrat de travail unique. Ce type de contrat ne fait plus la différence entre CDD et CDI car il peut être terminé à tout instant par l'entreprise pour raisons économiques, en contrepartie de la mise en place de mécanismes d'incitation au maintien dans l'emploi.

Chez Economiam, on pense que cette proposition ne résout pas le problème de la protection sociale des prestataires (encore une fois, pensez aux chauffeurs d'Uber qui ne sont pas salariés et n'entrent pas dans le cadre du contrat unique) et qu'elle constitue un bouleversement trop grand pour pouvoir être mise en place de façon réaliste. Pour suivre notre fil conducteur qu'est Coase, on propose ici d'inciter les entreprises à internaliser le travail, en d'autres termes à salarier ses travailleurs. Ceci s'effectue d'une part en baissant le coût du CDI et d'autre part en renchérissant le coût du recours à la flexibilité. Concrètement, on propose les actions suivantes :

  • Appliquer le principe pollueur-payeur (dont on a parlé ici), c'est-à-dire de pénaliser les entreprises qui licencient ou ont beaucoup recours à des contrats temporaires et/ou à des prestataires. Cette pénalité serait financière et pourrait soit prendre la forme d'un renchérissement des cotisations patronales, soit d'une taxe sur les licenciements (ce que proposent Blanchard et Tirole)2.
  • Instaurer une réduction progressive des cotisations patronales lors d'un maintien long dans l'emploi. Cependant, ceci ne peut pas se faite de façon inconditionnelle, au risque de recréer d'une part la même situation d'insider-outsider (car les licenciements porteraient en priorité sur les employés les plus récents qui seraient alors les plus coûteux) et d'autres part de ralentir trop fortement la réallocation des ressources productives lors de changements technologiques (c'est à dire la "destruction créatrice"). Pour y remédier, on instaurerait une taxe sur les licenciements qui pourrait être plus élevée sur les emplois récents et plus basse sur emplois anciens, ce qui pourrait compenser ces effets dans une certaine mesure.
  • Mettre en place un mécanisme de type auto-sélection comme en assurance avec un paiement forfaitaire/exonération sur les contributions sociales de l'entreprise. Par exemple, il existe de nombreux cas où l'entreprise, lors de sa création, doit effectuer un paiement forfaitaire à l'Urssaf avant même d'avoir généré un centime de bénéfices. Ceci pourrait par exemple être modulé selon que le type d'emploi créé est en CDI ou non.
Enfin, indépendamment de Coase, chez Economiam, on pense qu'il faut maintenir le Compte Personnel d'Activité (CPA) qu'introduit la loi El Khomri. Ce compte a pour but de rendre plus portables un certain nombre de droits (retraite, etc.) lors de changements d'emploi, ainsi que de développer un droit à la formation tout au long de la carrière. Ceci est une modernisation claire, qui tient compte des parcours non-linéaires qui sont de plus en plus la norme, même si seule l'expérience nous dira si ses modalités sont efficaces. En résumé, la loi El Khomri est un début mais il reste beaucoup de chemin à faire !

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1. Au sens où est établi d'un contrat qui organise l'échange entre force de travail et rémuneration.
2. Pour cette dernière, cela pose évidemment la question de savoir comment recouvrer cette taxe lorsque les entreprises licencient à cause de problèmes de trésorerie pour plus de détails, voir p24-25 du rapport Blanchard-Tirole.

dimanche 19 juin 2016

Bremain: You'll never walk alone

Avant le référendum de jeudi, lettre d'un français à ses hôtes britanniques, et un peu de musique de circonstance.


Et la bande son originale :

lundi 30 mai 2016

Brexit: God save l'Union Européenne ?

« Si on m'avait écouté, on n'en serait pas là ! », entend on presque dire Charles de Gaulle, d'outre tombe. En effet, les citoyens du Royaume-Uni vont décider prochainement s'ils restent ou non au sein de l'Union Européenne. Assiste-t-on à un tournant de l'histoire européenne ou bien à un nouveau feu de paille politicien ?

 

Too cool for school, Britannia

Le Brexit (contraction de Britain et Exit) désigne une possible sortie du Royaume-Uni de l'Union Européenne. Cette sortie devrait être tranchée par un référendum fixé au 23 juin par le premier ministre David Cameron. 

David se sent inquiet...
Qu'on soit clair, Economiam n'est pas dans la tête de nos voisins britanniques, donc on ne peut pas prédire l'issue du scrutin (en plus on sait qu'ils sont imprévisibles, la preuve, ils roulent à gauche). On voit cependant que même si le Brexit fut longtemps une idée farfelue, le rapport de force entre partisans du Stay ou du Leave s'est progressivement amélioré en faveur des seconds. Ceci se traduit dans les sondages, même si ceux effectués par téléphone (qui ont été plus précis que les sondages en ligne lors du scrutin législatif de l'an dernier) prédisent de façon quasi constante un vote en faveur du Stay.

Les principaux soutiens du Brexit sont généralement très à droite dans le spectre politique, United Kingdom Independance Party (UKIP, qui se situe quelque part entre la Droite Populaire et le Front National) et aile eurosceptique des Conservateurs (le parti de droite actuellement au pouvoir), auxquels s'est récemment rajouté le très populaire ancien maire de Londres, Boris Johnson. 

Pour remettre les choses en contexte, il faut voir que le rapport du Royaume-Uni à l'Europe a toujours été un peu spécial :
  • Chronologiquement, les Brits n'ont jamais été un moteur de la construction européenne, ayant rejoint la Communauté Economique Européenne sur le tard en 1973, après avoir essuyé plusieurs vetos du Général de Gaulle.
  • Culturellement, ils ont toujours su entretenir leur particularisme, ce que reflète la sémantique : pour beaucoup d'entre eux, « l'Europe » c'est le continent, une entité bien distincte de leur insularité.

We are not amused

Même si, de prime abord, la volonté de sortir de l'UE des britanniques semble coïncider avec la vague de mécontentement qui agite les autres pays membres, ses motifs sont en fait assez différents :
  • Euro : C'est simple, les Britanniques ne l'ont pas. Ils sont en dehors du processus d'intégration vers la monnaie unique, depuis leur retrait en 1992 . Le Brexit n'est donc pas une façon de recouvrer la souveraineté monétaire, cri de bataille de certains politiciens de la zone euro.
  • Austérité : Nombre d'analyses de la crise de la zone euro tournent autour du rééquilibrage par l'austérité (en Grèce par exemple) et non par la relance de la demande (en Allemagne). L'UE est ainsi vue par certains comme imposant des souffrances inutiles sur les peuples, ce qui les amène à réclamer plus d'indépendance dans la conduite de la politique budgétaire nationale. Pourtant, ceci n'est pas un facteur dans les débats britanniques, le pays n'ayant pas rechigné à subir l'austérité de ces dernières années, réélisant le gouvernement de David Cameron.
  • Crise des réfugiés : Après la crise économique qui menace de remettre en cause la libre circulation des capitaux, une autre liberté fondamentale de l'UE, celle de circulation des personnes, est de plus en plus mise en danger avec l'afflux immense de réfugiés auquel on assiste depuis de nombreux mois maintenant. Inimaginable auparavant, les fermetures de frontières se font de plus en plus fréquentes (entre la Belgique et la France tout récemment). Mais ceci ne devrait raisonnablement pas faire partie du débat outre-Manche : en plus de la frontière naturelle de son insularité, le Royaume-Uni est surtout dehors de la zone Schengen qui garantit la libre circulation des personnes !
  • Budget de l'UE : Depuis Margaret Thatcher, ils n'ont eu de cesse de se plaindre du poids sur le budget de sa majesté de leur contribution au budget européen. Pourtant, cela représente un quarantième de leur budget national !
  • Kafka : Le fonctionnement bureaucratique des institutions européennes est vraiment au cœur des préoccupations britanniques (enfin surtout des Conservateurs, le parti de la droite libérale). Mais cet argument est légèrement de mauvaise foi : l'Etat britannique n'a clairement pas attendu l'UE pour créer de la bureaucratie !

 

Making [fill country here] great again

Cependant, même si les justifications immédiates du Brexit ne sont pas celles qui motivent le reste de l'Europe, il semble que les ressorts profonds soient quand même similaires : il s'agit surtout de la peur du déclassement, individuel et national. Ce n'est pas pour rien que les populistes de tous poils n'ont que la grandeur (passée) de leur pays à la bouche, de Donald Trump ("We're gonna make America great again") à l'ex-ministre conservateur britannique Iain Duncan Smith ("This country is the greatest on earth.”). Le débat britannique ne tourne alors plus autour d'un bilan comptable des mérites et défauts de l'appartenance à l'UE, mais autour du rétablissement d'un noyau national dont l'essence a par le passé produit un des plus grands empires coloniaux de tous les temps.

En conséquence, on pense chez Economiam que les batailles de chiffres n'ont vraiment que peu de sens. Ceux-ci servent surtout de justification a posteriori de croyances ancrées a priori. Il s'agirait donc plutôt de toucher le cœur des européens de part et d'autre de la Manche. Pourtant, le moins qu'on puisse dire c'est que l'identité européenne n'a jamais réussi à s'imposer sur les différentes identités nationales qui la composent, tant il est difficile pour un citoyen européen de s'approprier quoi que ce soit de l'UE hormis une politique de libre échange et un fonctionnement technocratique. Rien de bien inspirant en somme !

C'est aussi là que se jouent concrètement les chances de voir ou non un effet domino à la suite de la sortie du Royaume-Uni. Pour Economiam, une dislocation aura lieu tôt ou tard, et indépendamment du Brexit, si les peuples ne peuvent plus être convaincus du bienfondé du projet européen...

jeudi 18 février 2016

This is the end, my friend

Vent de panique sur les bourses mondiales : il n'en faut pas plus pour les médias pour s'interroger sur un nouveau krach comme en 2008. On va donc profiter de l'occasion pour mettre Fluctuations et Crises à l'ouvrage et voir ce qu'on peut conclure sur la possibilité d'une crise en 2016.

Doctor Doom

On pourrait prendre la voie facile, celle des Doctor Doom (de Nouriel Roubini à notre Patrick Artus national) qui prédisent une nouvelle crise tous les ans, histoire d'être sûrs de ne jamais en rater une (un exemple particulièrement gratiné ici). On va être franc, chez Economiam on est bien incapable de vous dire avec certitude si une crise se produira en 2016. Mais on peut par exemple vous donner un avis et des pistes de réflexion pour arriver à vos propres conclusions.

dimanche 14 février 2016

Juste ce qu'il faut pour faire croire que vous avez vraiment lu Piketty

« Formidable ! Un tournant dans la pensée économique ! Une rock star ! » Depuis sa publication en 2013, on ne tarit pas d'éloges sur le Capital au XXIe Siècle et son auteur, l'économiste français Thomas Piketty. A tel point que cet ouvrage est devenu un blockbuster des ventes de livres, à faire pâlir d'envie Harry Potter (enfin presque). Sauf que dans la plupart des cas, le pavé de 950 pages sert plus de presse papier intello que de livre de chevet.


En version japonaise...

Le poids des idées...

Un million et demi de ventes dans le monde, en voilà une palanquée de bouquin ! Pourtant, les statistiques ne mentent pas : les passages surlignés par les utilisateurs du Kindle d'Amazon se concentrent étrangement sur les deux premiers chapitres... Partant, vous pouvez être presque sûr que si quelqu'un vous parle du Capital au XXIe Siècle, il/elle ne l'a probablement pas lu jusqu'au bout. En cela, Piketty est certainement le digne héritier de Marx et de son livre Das Kapital, que personne non plus ne lit...

Voilà donc l'opportunité de briller! Economiam se propose donc de vous souffler les bons mots qui feront mouche et les réflexions subtiles qui vous transformeront en une référence auprès de ceux qui auraient abandonné leur lecture, sans prendre la bonne habitude de lire ce blog1 ! On aborde tour à tour, le contexte du livre, son contenu, les premières réactions puis ce qu’on pense qu’il faut en penser.

dimanche 31 janvier 2016

Revenu universel : Je rêvais d'un autre monde

Le revenu universel, qui consiste à verser à chacun un revenu identique sans conditions préalables, fait couler beaucoup d'encre ces derniers temps. Puisqu'on n'est pas insensible à l'actualité chez Economiam, on en profite pour ramener sa fraise.


Marx et Hayek sont dans un bateau...

Make it rain, baby!
Une absurdité pour les uns, une société à nouveau humanisée pour les autres, ou encore un destin inéluctable pour certains, le revenu universel ou de base (RU dans ce qui suit) touche une corde sensible, en France (ici ou ici) ou à l'étranger, ici aux US (en VF), là au UK.

Mais ce phénomène n'est pas que purement médiatique, car des initiatives politiques concrètes en ce sens ont été lancées en Finlande et en Suisse. Même en France, le Conseil national du numérique vient récemment de le suggérer dans un rapport remis à la Ministre du Travail, avec de surcroît le Ministre de l'Economie Emmanuel Macron qui a l'air de vouloir y réfléchir (même si on suppose qu'il disait ca pour se marrer...).