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jeudi 18 février 2016

This is the end, my friend

Vent de panique sur les bourses mondiales : il n'en faut pas plus pour les médias pour s'interroger sur un nouveau krach comme en 2008. On va donc profiter de l'occasion pour mettre Fluctuations et Crises à l'ouvrage et voir ce qu'on peut conclure sur la possibilité d'une crise en 2016.

Doctor Doom

On pourrait prendre la voie facile, celle des Doctor Doom (de Nouriel Roubini à notre Patrick Artus national) qui prédisent une nouvelle crise tous les ans, histoire d'être sûrs de ne jamais en rater une (un exemple particulièrement gratiné ici). On va être franc, chez Economiam on est bien incapable de vous dire avec certitude si une crise se produira en 2016. Mais on peut par exemple vous donner un avis et des pistes de réflexion pour arriver à vos propres conclusions.


Huggy les bons tuyaux

On a toujours besoin d'un bon indicateur. Considérons donc le comportement des indicateurs avancés (chap. 2, section 2.2 du livre) à fin janvier/début février. Tant dans les données de l'OCDE que du Conference Board, on voit qu'il ne se dégage pas vraiment de tendance. Au niveau global, les ralentissements se compensent avec les accélérations pour donner un horizon stable. La croissance se tasse aux US (la courbe bleue rebique vers le bas dans le graphique ci-dessous), au UK et en Allemagne mais s'affermit en France (la courbe bleue pointe vers le haut). Bref, pas de quoi crier au loup de ce côté.


Légende : PIB normalisé (rouge), Indicateurs avancés (bleu) - Source : OCDE
Lecture : Le passage de la courbe bleue sous les niveau 100 annonce une récession probable
 

J't'ambiance

On souligne dans le livre le besoin d'un milieu ambiant qui facilite et amplifie les crises (chap.5). On évoque notamment le rôle du crédit et des institutions financières, qui apparaissent en filigrane de nombreuses discussions journalistiques récentes. 

Pour rappel, le taux d'endettement privé américain était de 206% du PIB en 2007, soit une augmentation d'un quart par rapport à la fin de la bulle Internet (p.171). En revanche, selon les chiffres de la Banque des Règlements Internationaux (la banque centrale des banques centrale), l'endettement américain a augmenté de 6% entre la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008 et juin 2015, avec une tendance stable (la série utilisée est légèrement différente de celle du livre). 

Quant au secteur financier, on n'a bien sûr pas de données en temps réel sur sa capitalisation, mais on peut voir dans les résultats des stress tests imposés par les régulateurs que les banques semblent être dans une meilleure position pour résister aux chocs systémiques qu'avant 2008. Elles ont donc moins de chance d'être des éléments propagateurs. 

Donc ici encore, pas de raison majeure de flipper.

Le doigt sur la détente ?

Bon, jusqu'ici les éléments à charge ne sont pas très convaincants. Mais concentrons nous maintenant quand même sur les déclencheurs potentiels (chap.4), au vu de l'insistance des médias sur cet aspect. On a vu en vrac :

  • La baisse du prix du pétrole, le ralentissement de la croissance en Chine et la chute des cours boursiers : ça ne clignote pas franchement au rouge (voir ce qu'en pense Alexandre Delaigue).
  • Les actions des banques centrales sur les taux d'intérêt (augmentation aux US, taux négatifs au Japon et dans la zone euro) : on parle ici plus d'un symptôme que d'une cause (cf. chap.8, section 2.2), et encore on craint plutôt la stagnation que le choc brutal.
  • Le Brexit (c'est-à-dire la sortie du Royaume-Uni de l'Union Européenne), la crise des réfugiés (ça serait pas mal qu'on arrête de parler de "migrants") et la résurgence des difficultés économiques pour les pays de la périphérie de la zone euro : clairement, on peut faire confiance aux politiques pour faire d'une situation chaotique un véritable cataclysme. On pense quand même chez Economiam qu'il va s'agir plus d'un pourrissement (par exemple bail-out sur bail-out pour la périphérie de la zone euro) que d'une vraie crise qui exploserait soudainement.

Ecume ou bulle ?

Enfin, il y a toujours la possibilité d'une bulle (chap.4 section 1.3), dans laquelle les prix d'actifs sont complètement décorrelés de leur valeur fondamentale. Le seul marché global sur lequel on peut constater une hausse mondiale est le marché action. En effet, dans l'immobilier, qui est l'autre coupable habituel, les prix au Japon, aux USA, au UK et en France retrouvent à peine leur niveau de septembre 2008, et seul le UK semble être déconnecté des fondamentaux.

Sous des hypothèses grossières mais raisonnables (voir discussion ci-dessous), on trouve qu'un S&P 500 (représentatif du marché action américain) aux alentours des 2 200 n'est pas complètement fou, tiré par les forts rendements en dividendes, la baisse du coût du capital et le retour de la croissance. Pour rappel, le S&P 500 est passé de 2 100 à moins de 1 900 entre décembre 2015 et février 2016.

Pour résumer, on pense que ça n'est pas encore le Titanic cette affaire. N'hésitez pas à faire vos commentaires après cet article ! 

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Quelques calculs pour l’estimation du S&P 500 : 

On utilise à titre illustratif le modèle de Gordon, qui a l'avantage de la simplicité au détriment de la précision. Il exprime le prix d'une action en fonction des prochains dividendes, de leur croissance prévue et du coût du capital :

P = D1 / (r - g)

On note que nécessairement, r > g parce le prix est positif... 

Appliqué à l'indice américain S&P 500, on suppose que :
  • la croissance des dividendes g est égale au taux de croissance du PIB (sous l'hypothèse que cet indice reflète un large pan de l'économie américaine), soit 2%
  • le coût du capital r est la somme du rendement du bon du trésor américain à 10 ans (une mesure du taux sans risque de long terme) actuellement à 2% et d'une prime de risque qu'on prend à 5% comme cas de base (ce qui fait un retour exigé à 7%, en ligne avec le rendement historique) 
  • les taux de dividendes est d'environ 2% et celui de rachats d'un peu moins de 3%, ce qui, appliqué à une base de 2 000 pour le S&P 500 en moyenne pour la deuxième moitié de 2015 et composé du taux de croissance donne des dividendes attendues : D1 = 2 000 × (2% + 3%) × (1 + 2,4%) = $102,4 

On obtient alors: P = 102,4 / (7% - 2,4%) = 2 226

En faisant varier l'aversion au risque (qui est le paramètre le plus incertain) on trouve P = 2 844 pour 4% et P = 1 828 pour 6%.

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