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lundi 30 septembre 2013

L'économie circulaire tourne-t-elle rond ?

L'économie circulaire a été l'un des sujets stars de la conférence environnementale et suscite beaucoup d'intérêt. En effet, c'est une idée qui, sur le papier ne peut que plaire mais est-elle en fait trop belle pour être vraie ? Petit topo sur Economiam.

Boucler la boucle

Le concept de l'économie circulaire est simple : les produits ne sont plus fabriqués et consommés de manière linéaire selon un schéma (prélèvement de ressource->consommation->poubelle) mais conçus et mis en vente de façon à pouvoir être utilisés plusieurs fois (voir illustration ci-dessous). Ceci peut être accompli soit en rendant le produit facilement démontable pour en tirer la substantifique moelle (imaginer une voiture en kit), soit en développant un système en cascade où les déchets de l'un sont réutilisés par l'autre (par exemple un pull en laine qui devient un rembourrage de meuble quand il est trop usé). On voit donc aussi que ce système diffère dans une certaine mesure du simple recyclage, qui refait passer le déchet par la case départ du matériau brut, au lieu de reprendre le produit tel quel.
(c) Ademe

Mais la simplicité n'empêche pas d'être ambitieux : selon la fondation Ellen MacArthur, qui a commandité plusieurs rapports au cabinet de conseil McKinsey, avec le soutien de grands groupes industriels tels que Renault, les économies de matières premières ainsi réalisées pourraient représenter environ 3 à 4% du PIB à l'échelle de l'Union Européenne, soit 350€ à 600€ milliards par an selon les scénarios (les consultants aiment beaucoup les scénarios). Selon eux, dans un cas de figure optimiste (mais réaliste), on pourrait atteindre environ 20% des coûts actuels à l'horizon 2025.

Et bien évidemment, le tout se fait en étant porteur de valeurs positives comme la collaboration, la sauvegarde de l'environnement, etc. En plus, on nous annonce que ça fait des emplois sur notre territoire et qu'on n'aura plus besoin ni de polluer ni d'acheter du gaz à la Russie. Que demande le peuple ?


Le modèle allemand (une fois n'est pas coutume)

Pour voir ce que ça peut donner en pratique à grande échelle tournons-nous vers nos voisins allemands qui possèdent déjà un exemple d'économie circulaire avec leur système de pfand, qui est une consigne pour les bouteilles en plastique. En effet, les bouteilles de soda, une fois consommées, sont rendues au supermarché, en échange d'environ 10 centimes (qui étaient bien sur inclus dans le prix d'achat). Les bouteilles ont été adaptées à ce mode de fonctionnement car elles sont d'une part fabriquées avec un plastique plus épais et donc plus durable, et d'autre part car le bouchon s'enlève complètement lorsqu'on le dévisse sans laisser de petit collier en plastique autour du goulot.

Deux points important ressortent ici :
  • Il faut accepter d'avoir des produits d'occasion, donc moins beaux et faire confiance aux machines qui remettent les produits dans le circuit. Dans ce cas-ci, les bouteilles sont souvent rayées et pas franchement transparentes, et les fabriquants de soda ont dû développer une armée de capteurs pour détecter les usages imprévus des bouteilles...
  • L'économie circulaire est une question de mentalité. En Allemagne, il y a un pfand sur les gobelets dans les festivals (!) et on peut donc suspecter que les Allemands, toujours Mülltrennungfreundlich, auraient mis en place ce système même s'il n'était pas économiquement viable. 

Le Yin et le Yang

L'économie circulaire a donc sur le papier beaucoup d'atouts pour plaire, mais elle a aussi clairement plusieurs obstacles concrets à surmonter :
  • Les habitudes de consommation doivent changer et s'adapter
  • Sa viabilité dépend fortement du prix des matières premières. Si celui-ci baisse (comme par exemple aux Etats-Unis avec le gaz de schiste), l'économie circulaire aura du mal à faire son trou
  • Une grande partie de la technologie et des méthodes de production nécessaires restent encore à inventer
  • Elle concerne uniquement le secteur manufacturier qui est de plus en plus petit dans les pays développés. Les services dématérialisés ne se prêtent pas à l'exercice, par définition
  • Les normes devront s'harmoniser au niveau mondial et entre industries, ce qui a des chances d'être complexe. Ce point est crucial, d'une part car les chaînes d'approvisionnement sont mondiales et d'autre part car les exemples existants montrent la nécessité d'une symbiose relativement stricte entre les participants

Par ailleurs deux points mis en avant semblent ne pas complètement tenir la route :
Yin Yang - Symbol
L'économie circulaire, ce n'est pas tout blanc ou tout noir
l'utilisation des énergies renouvelables et la création d'emplois manufacturiers "relocalisés". Concernant le premier, il n'est pas clair pourquoi l'utilisation d'énergies renouvelables dans le processus devrait particulièrement s'imposer (au-delà d'être cohérente avec la démarche écologique). En effet, les sources d'énergies renouvelables sont instables (manque de vent/de soleil) et ne peuvent en général pas servir de baseload, i.e. de production d'électricité minimum nécessaire pour répondre à la consommation en dehors des pics de demande. Il n'y a pas de raison que cela soit différent pour l'économie circulaire. 

Sur le deuxieme point, prenons l'exemple de l'automobile : dans la mesure où l'on construit la plupart de nos voitures à l'étranger avant de les transporter sur les différents marchés nationaux, pourquoi les constructeurs ne les renverraient pas simplement à la case départ en continuant de profiter de la main d'œuvre est moins chère, plutôt que de relocaliser ? La création d'emplois sur le territoire ne semble donc pas garantie.

Le petit Pigou est demandé à l'accueil

Enfin, pourquoi les acteurs économiques passeraient-ils spontanément au circulaire ? Certes, il existe d'ores et déjà une foultitude d'exemples au niveau d'entreprises ou de zones d'activités mais la question de la mise en place à grande échelle se pose vraiment. Comme l'explique Amélie Séguret, consultante senior chez Carbone 4 : "Sur les conditions d'émergence et de généralisation du concept, évidemment tout n'est pas rentable dans l'équation économique actuelle. D'où l'intérêt d'inclure les externalités environnementales dans les signaux économiques qu'on envoie aux acteurs (taxe carbone, système de responsabilité élargie au producteur, ...)."

La notion de rééquilibrage des conséquences négatives (ou positives) de la production via la fiscalité, que les économistes appellent taxes pigouviennes (imaginées par l'anglais Arthur Pigou, qui a vraiment un nom rigolo), est probablement la marche à suivre la plus efficace pour mettre en place les bonnes structures d'incitations. Car même si l'éducation a un rôle très important à jouer, il ne faut pas nier que taper au portefeuille, ça fait toujours réagir. Pourtant, cette proposition, qu'on appelle aussi fiscalité verte dans le débat politique actuel, pose des problèmes importants de redistribution et de protection des plus démunis. Tenir compte de la pollution dans les prix, ça coûte cher !

En résumé, chez Economiam, on trouve que l'économie circulaire est une très belle idée sur le papier, mais qu'il va falloir se retrousser les manches parce que ça n'a pas l'air simple. Mais à terme, avec ou sans taxe pigouvienne, le jeu en vaudra probablement la chandelle pour les entreprises dans un monde de ressources limitées, même s'il ne faut pas surestimer son impact.

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Pour en savoir plus :
Amélie Séguret (Carbone 4) - La transition sur les territoires : Se regarder dans le miroir et changer de régime ?
Fondation Ellen MacArthur - Vers une économie circulaire - Rapports 2012 et 2013 (inscription gratuite)

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