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mardi 13 juin 2017

Un petit Ricardo pour l'apéro ?

A l'occasion des deux cent ans des débuts théoriques du libre-échange, le vecteur de cette mondialisation honnie, et pour approfondir le post récent, on procède à un petit rappel du concept d'avantage comparatif (ainsi que de quelques jeux de mots de qualité moyenne vus sur ce site).

Tu sais pas qui ? C'est Ricardo !

Ce bon vieux Ricardo, qui s'était caché
sur une île pendant tout ce temps !

L'anecdote est devenue célèbre (enfin, du moins parmi les économistes) : mis au défi par un mathématicien de citer un mécanisme économique qui correspondait à la réalité sans pour autant être une banalité, l'économiste américain Paul Samuelson cita la théorie de l'avantage comparatif. Cette dernière, énoncée par Ricardo au XIXe siècle, prédit que les pays ont intérêt à se spécialiser dans les productions où ils sont plus efficaces. Il faut aussi bien comprendre que cet avantage est dit comparatif non seulement par la comparaison entre deux pays mais aussi entre deux industries au sein d'un même pays. 


Dans l'exemple canonique (qui fleure bon le XIXe siècle), on considère les échanges commerciaux entre l'Angleterre et le Portugal, qui sont supposés chacun produire du vin et du tissu. C'est parce que l'Angleterre est plus efficace à produire du tissu par rapport à produire du vin et qu'à l'inverse le Portugal est plus efficace à produire du vin que du tissu, que ces pays devraient rationnellement se spécialiser dans le tissu et le vin respectivement, et s'approvisionner chez l'autre pour la quantité manquante.

Illustrons ceci par un exemple chiffré : supposons que chaque travailleur portugais et anglais produit les quantités suivantes de vin (en hectolitres) et de tissu (en m
ètres), en situation d'autarcie, c'est-à-dire en l'absence de commerce international :
Pays/Produit Vin Tissu
Portugal 4 8
Angleterre 2 7

Ici le Portugal a un avantage absolu à la fois dans la production de tissu et de vin, car il produit les deux biens pour moins cher que l'Angleterre (
à salaire égal). Par ailleurs, le Portugal a aussi un avantage comparatif dans la production de vin car chaque travailleur produit 4 / 8 = 0,5 unités de vin pour chaque unité de tissu, alors que l'Angleterre produit seulement 2 / 7 = 0,29 (arrondi). Une autre façon de le voir est de penser qu'une unité de tissu vaut 0,5 unités de vin au Portugal et 0,29 en Angleterre, donc qu'elle vaut plus cher au Portugal qu'en Angleterre, et qu'ainsi l'Angleterre a un avantage comparatif dans la production de tissu.

Par conséquent, dans la théorie de l'avantage comparatif, Ricardo affirme que, en situation de libre-échange, le Portugal a intérêt à se spécialiser dans la production de vin, malgré le fait que ce pays soit capable de produire les deux marchandises pour moins cher que l'Angleterre. Pour enfoncer le clou, il faut donc bien noter l'intuition la plus importante ici : la spécialisation des pays en situation de libre-échange n'est pas nécessairement la conséquence d'un avantage absolu.

Le raisonnement est le suivant : en situation de libre-échange, le Portugal a le choix d'échanger tout ou partie de sa production de vin contre du tissu anglais, ou de tissu contre du vin anglais. En supposant que le prix mondial d'échange de vin contre du tissu s'établit disons à 0,4 (ou n'importe quelle autre valeur entre 0,29 et 0,5), le Portugal peut échanger chaque unité de vin contre 1 / 0,4 = 2,5 unités de tissu au lieu de 1 / 0,5 = 2 unités auparavant. De même l'Angleterre peut obtenir 0,4 unités de vin par unité de tissu contre 0,29 auparavant. Il est donc logique pour le Portugal de se spécialiser dans la production de vin et pour l'Angleterre de se consacrer exclusivement à la production de tissu. On voit aussi que le libre-échange a ici un effet identique à celui d'une nouvelle technologie : suite à l'ouverture commerciale, les travailleurs portugais "produisent" plus de tissu à quantité de travail égale. C'est comme si un nouveau métier à tisser les avait rendus plus productifs.

Simple, non ?

On explique en général ce mécanisme aux étudiants qui débutent en économie. La simplicité et l'ingéniosité de cette théorie convainquent alors la plupart des bienfaits du libre-échange.

De plus, le modèle est généralisable à plus de facteurs et plus de secteurs (les plus matheux pourront s'intéresser à ce papier d'Arnaud Costinot du MIT ou encore celui-ci d'Eaton et Kortum) ce qui le rend relativement adaptable pour l'utiliser dans des représentations plus complexes. Enfin, la théorie de l'avantage comparatif a une certaine validité empirique comme l'ont démontré Arnaud Costinot et Dave Donaldson en 2012 (et voir ici pour de plus amples explications en français).

Ricardo a donc tout pour plaire et constitue la pierre angulaire de la foi des économistes dans le libre-échange. Cependant, cette foi se heurte à l'opinion du reste de la population, pour qui le libre-échange et plus généralement la mondialisation sont sans équivoques des sources de problèmes (voir le post précédent).

Dans l'exposition classique que nous avons illustrée ci-dessus se cachent certaines hypothèses, dont le relâchement, s'il ne remet pas en cause le concept d'avantage comparatif, permettent de raffiner l'analyse des conséquences du libre-échange. Ces hypothèses sont principalement :

  • Concurrence pure et parfaite
  • Analyse statique et donc absence d'interactions stratégiques
  • Travail comme unique facteur de production, et capital humain homogène

Si les deux premiers points ont leur importance et implications propres (économies d'échelle, rôle de l'Etat...), c'est principalement le troisième qui permet de mieux discerner le malaise qu'engendre le libre-échange, notamment sur son aspect le plus fort, celui de la redistribution des richesses. En effet, si tout le monde est égal devant le libre-échange (tous salariés et pas de différence de compétences), tout le monde voit sa situation s'améliorer de la même façon lors de l'ouverture au libre-échange. Or, en ajoutant le capital dans le mix productif et/ou en différenciant entre travailleurs qualifiés ou non, il se trouve que l'ouverture au libre-échange fait que le facteur relativement plus abondant y gagne, tandis que le facteur plus rare y perd. Appliqué aux économies développées, cela veut dire que le capital voit ses revenus augmenter au détriment du travail non qualifié (voir notamment l'effet Stolper Samuelson). Et ce quand bien même la richesse totale augmente...



On conclut ici comme on a ouvert le post : l'avantage comparatif est un concept non-trivial. La preuve s'il en est, nos amis de Dessine-moi l'éco se sont plantés sur leurs explications (il faut considérer les rapports de productivité et non les différences) ! On espère cependant que cette petite discussion aura permis à certains d'y voir plus clair !

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