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dimanche 27 janvier 2013

L'économie amusante: eBay, ou comment résoudre le poids mort de Noël


Fin janvier, bientôt la fin des vœux de nouvelle année, et aussi le moment de tirer un bilan comptable de ses cadeaux de Noël. En particulier, combien est-ce-que j’ai réussi à tirer de ce cadeau immonde de la tante Phlébite en le vendant sur mon compte eBay

Les économistes, c’est bien connu, ne sont pas des sentimentaux. La joie d’offrir, le plaisir de la surprise, tout ça, ils s’en tamponnent. Et Noël, la grande foire annuelle aux cadeaux ne pouvait pas longtemps rester en dehors de leurs griffes rationnelles. Ainsi, dans un article de 1993, Joel Waldfogel pose la question de savoir si les fêtes de fin d’année ne sont pas en fait un boulet sur l’économie, un poids mort que l’on se traîne. Pour étayer sa thèse, il demande d’abord à ses étudiants d’estimer la valeur payée par leurs proches pour les cadeaux qu’ils ont reçus. Puis d’essayer d’estimer à quel degré les cadeaux leur ont plu, en attribuant une valeur monétaire à leur déception éventuelle. C’est-à-dire, si on devait acheter son cadeau, de combien devrait-on baisser le prix pour accepter de l’avoir? En particulier, il est possible de ne vouloir un objet à aucun prix (je sais pas moi, un animal empaillé…) auquel cas l’écart est de 100%. A l’inverse, si on avait en tête d’acheter quelque chose avant les fêtes et qu’on a la bonne surprise de le voir au pied du sapin, clairement on était prêt à payer le prix d’achat entier. Evidemment, la plupart des cadeaux auront une décote située entre les deux. Le résultat de l’expérience produisit un écart substantiel, de l’ordre de 10%. Concrètement, l’élève Chaprot, aimant beaucoup le bleu, n’aurait accepté de n’acheter ce pull vert, cadeau de son oncle Gilbert, que s’il l’avait trouvé 10% moins cher en magasin (bien sûr, il n’y a pas d’autres choix en stock).

En d’autres termes, une partie de l’argent dépensé dans les cadeaux de Noël est purement et simplement gâché: dans bien des cas, il aurait mieux valu donner directement du liquide, plutôt que de jeter l’argent par les fenêtres… En considérant les choses ainsi, on estime que cette perte1 représente $4 milliards aux Etats-Unis, rien que pour les dépenses de Noël! Bref, mis bout à bout, ça commence à faire de l’argent.

Ensuite plus le degré de familiarité entre les personnes offrant et recevant est faible, plus l’écart entre la valeur de la dépense et la valeur pour le receveur est grand. En d’autres termes, moins on connaît la personne, plus on a de chances de se planter sur le cadeau. Ce qui amène les gens à des stratégies d’évitement: les personnes qui ont le plus de chances de se louper sont aussi celles qui donnent le plus fréquemment des cadeaux en liquide. C’est pour ça que Mamie fait un chèque, mais que Papa/Maman offrent un vrai cadeau. Avec ceci, on voit bien que les cadeaux en nature peuvent quand même exister comme un système rationnel, au-delà de la convention purement sociale, dans la mesure où nos proches ont de fortes chances d’offrir un cadeau qui fait plaisir, voire dépasse nos attentes.

Cependant l’auteur, économiste qu’il est, s’étonne dans son étude de l’excès de cadeaux en nature par rapport au liquide. Il en déduit d’une part que le plaisir d’offrir entre bien en ligne de compte et d’autre part que les conventions sociales empêchent de trop faire des cadeaux purement en cash.

Mais revenons-en au poids mort. La description ci-dessus indique que l’on peut voir Noël comme une loterie (si, si, et c’est d’ailleurs ce que les économistes font): quand j’offre un cadeau, je gagne si mon cadeau plaît ou et je perds s'il deplaît. On voit donc que ce genre de réflexion n’enlève pas la possibilité de perdre une fois le tirage effectué2. Etre parfaitement rationnel ne réduit donc pas le poids mort à zéro: il est donc inévitable (en moyenne) dès qu’on souhaite offrir un cadeau.

Il faut donc bien trouver des solutions pour le réduire après coup, et on se rend compte que le monde en a trouvé quelques unes. Par exemple, dans certaines sociétés asiatiques, on n’hésite pas à redonner les cadeaux qui déplaisent à quelqu’un d’autre quand l’occasion se présente. On peut supposer que ce genre de système réduit le poids mort de façon itérative, le cadeau faisant son chemin jusqu'à ce qu’il trouve un heureux propriétaire. Par ailleurs, The Economist suggère que l’utilisation de chèques-cadeaux peut aussi réduire le problème parce qu’ils sont plus acceptables que du liquide tout en étant quasiment du cash, notant pourtant qu’un certain nombre vont expirer sans être utilisés, causant des pertes résiduelles… Mais la star de la nouvelle année est bien sûr eBay, l’ami des gens qui veulent monétiser leurs cadeaux, qui se démocratise de plus en plus !

Voilà, ouf de soulagement, pas besoin de tuer le plaisir d’offrir, ni de renier les traditions de Noël, car on n’arrête pas le progrès. On peut donc préserver les apparences, sans que ça ne nous coûte (trop)!



1. Pour les puristes, cette perte s’appelle “perte sèche”. Cependant, pour cet article, je me permets de traduire littéralement l’anglais deadweight loss, qui me semble plus parlant.
2. Pour parler comme les économistes, la rationalité de la décision ex ante ne dépend pas de la réalisation de la perte ex post, car elle ne dépend que de la maximisation de l’espérance d’utilité.

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