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vendredi 8 mars 2013

L'économie amusante: Bitcoin ou la monnaie de geek


En ce moment sur Internet se déroule une expérience d’économie monétaire inédite: indépendant de toute Banque centrale, muni de son propre système de paiement (se passant en particulier totalement du système bancaire), le Bitcoin est une monnaie virtuelle qui séduit de plus en plus d’adeptes et surtout passionne de plus en plus les économistes.


Money is memory

Pour faire très simple, le Bitcoin est une vraie monnaie, qui permet d’acheter toutes sortes de biens et de services, avec un taux de change de marché (surtout échangeable contre des dollars), mais sans pièces, ni billets, ni banques. C’est aussi et surtout une monnaie de geek qui a su se parer de tous les atours qui leur plaisent: créée en 2009 par une figure fantasmatique restant dans l’anonymat, avec un pseudonyme japonais (clairement encore le pays où on n’arrête pas le progrès), les premiers pas du Bitcoin cherchent clairement à s’ancrer dans la mouvance anonymous. Secret et anonymat d’autant plus faciles à préserver que les transactions se font par le biais d’adresses (un peu comme des adresses mails) dont on peut changer comme de chemise, ce qui permet, si on le souhaite, de rendre les transactions pratiquement impossible à tracer.

Ces dernières aussi reposent sur le cryptage à clé publique, autre principe bien connu du monde virtuel. Il permet en premier lieu de garantir l’existence des Bitcoins qui vont servir de paiement puis à garantir que le vendeur, et seulement lui, reçoit les Bitcoins. Reste que le Bitcoin n’est qu’un bout de code1, une vulgaire séquence de 0 et de 1. Pour attester de l’opération, le système inscrit celle-ci dans un registre public en lui attribuant une clé unique. Or le réseau Bitcoin est décentralisé et ce sont alors les utilisateurs qui se chargent de mettre à disposition de la puissance de calcul pour la mise à jour. Pour inciter à participer à cette opération (dite de mining), le premier à venir à bout du cryptage se voit récompensé par 50 Bitcoins, créés ex nihilo (ce qui est par ailleurs la seule façon dont des nouveaux Bitcoin sont introduits dans l’économie). Ceci est doublement important car on voit d’une part que la création monétaire coïncide avec le nombre de transactions, tandis que d’autre part, comme le précise le manifeste Bitcoin, si on imagine un hacker surpuissant possédant plus de capacité de calcul que le reste du réseau, celui-ci aurait le choix entre falsifier le registre et se réattribuer les Bitcoins qu’il vient de payer, ou promouvoir un système honnête et gagner 50 Bitcoin sur toutes les transactions.

Pour preuve que c’est tendance, la série The Good Wife a consacré au Bitcoin un épisode entier. Extrait (en anglais) qui illustre les explications du paragraphe précédent:



Encore plus impressionnant (pour un économiste en tout cas), ce système de mémoire publique pour résoudre les problèmes posés par la dématérialisation totale est l’adaptation directe, mais probablement involontaire, des résultats de Kocherlakota en 1998, qui montre que la mémoire en tant que technologie est substituable à la monnaie pour réaliser les allocations et échanges au sein d’une économie.

Bitcoin, et les autres

Cependant, quelle différence avec les crédits Facebook, le WoW gold ou les pieces d’or de My Pet World? Même si on peut les acheter ou les accumuler à l’intérieur de leurs systèmes respectifs, on ne peut pas les échanger dans l’autre sens contre de la monnaie du monde réel. Ces «monnaies» sont et restent ainsi captives.

Ensuite, il n’aura pas échappé au plus attentifs qu’Amazon se prépare à lancer ses Coins, échangeables à parité avec le dollar, sujet sur lequel s’enthousiasme Slate en affirmant qu’il s’agit d’un stimulus monétaire miniature pour le Kindle Fire. Mais là aussi il y a une différence de taille: les Amazon Coins ont de la valeur uniquement parce qu’ils sont garantis par la présence d’Amazon. Si demain l’entreprise fait faillite, les Coins ne vaudront plus rien (ou à hauteur de ce qui serait récupérable dans la liquidation). Ce ne sont donc rien de plus que des bons d’achats réutilisables, ce qui est tout à l’avantage d’Amazon qui n’a pas besoin d’en réémettre à chaque fois qu’ils sont utilisés et peut s’en servir comme avance sur trésorerie. Mais ce qui n'en fait certainement pas une monnaie...

Economie expérimentale

Pour revenir au Bitcoin, il faut noter que c’est une monnaie très peu liquide avec un nombre restreint d’utilisateurs (10 000 selon les dernières estimations) et relativement peu de transactions réalisées. Par conséquent, au lieu de voir une opération de change comme un transfert classique d’un pays à un autre (lequel est généralement une goutte d’eau par rapport à la masse monétaire d’un pays), il faudrait plutôt la considérer comme un rachat externe par quelqu’un acceptant d’échanger des dollars contre de la monnaie virtuelle. Ca peut sembler téméraire, mais, au vu de nos habitudes de tous les jours, ça ne l’est peut-être pas…

Car, le Bitcoin est une monnaie fiat, exactement comme nos monnaies d’aujourd’hui, c’est-à-dire qu’elle n’est adossée à rien ni personne et que sa valeur dérive de son potentiel d’échange, simplement du fait qu’elle va être acceptée par d’autres personnes dans des transactions. En d’autres terme, si je possède des Bitcoins je pourrai acheter des produits et des services auprès des commerçants les acceptant, qui à leur tour pourront les utiliser pour payer leurs fournisseurs (mais probablement pas encore leurs employés!). Mais si leur valeur s’effondre, je ne pourrai pas me mettre dans la file des créditeurs pour réclamer mon dû, ni échanger mes pièces contre de l’or comme ça pouvait être le cas du temps de l’étalon-or. Ce qui est aussi le cas de l'euro ou du dollar.

Par conséquent, on peut envisager ça comme un véritable mini-laboratoire d’économie. Si par exemple le cours du Bitcoin chute brutalement par rapport au dollar, les commerçants, qui sont de facto des importateurs car rien n'est produit directement au sein de l'économie Bitcoin, vont augmenter leur prix pour ne pas vendre à perte: il y a donc de l’inflation! A l’inverse, si la demande pour le Bitcoin augmente très fortement, comme la masse monétaire est quasi-fixe (on y revient ci-dessous), la valeur réelle de la monnaie augmente, et donc les prix baissent pour s’ajuster: il y a donc déflation.

Dès l’origine, il était prévu de limiter le nombre total de pièces en circulation à 21 millions, et de rendre le mining de plus en plus ardu, pour donner une trajectoire plutôt bien délimitée et prévisible à la croissance de la masse monétaire. Les exemples précédents montrent que c’est donc une caractéristique cruciale du Bitcoin.

Croissance monétaire du Bitcoin (source: Bitcoin)

Or, cette volonté délibérée de limiter l’expansion monétaire correspond à la vision « autrichienne » du cycle économique, comme le souligne une étude de la BCE. L'Ecole autrichienne pense que le dévoiement de la monnaie et des taux d’intérêt par les autorités est la source de toutes les instabilités économiques et qu'il suffit de leur enlever la manette des mains pour résoudre le problème. Se priver ainsi de toute capacité d'imprimer de l'argent ou de contrôler les taux rappelle clairement l’étalon-or, dans lequel la quantité de monnaie en circulation était arbitrairement liée au métal jaune. Pourtant, cette limitation très abrupte de l’offre de monnaie ne peut fonctionner que parce que le nombre de transactions est limité et que les prix ne sont pas réellement fixés en monnaie virtuelle mais bel et bien convertis du dollar. Car si tel était le cas, les salaires, qui sont le prix du travail, devraient diminuer comme tous les autres prix, ce que les travailleurs repoussent en général de toutes leurs forces. C'est en particulier ainsi que la déflation imposée par un niveau fixe de monnaie cause d’immenses problèmes, comme lors de la Grande Dépression…

On voit donc que même si le Bitcoin n’est pour le moment pas en train de changer le monde, il présente une expérience de terrain unique pour les économistes, pour mieux comprendre la monnaie et son rôle dans l’économie.

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Pour en savoir plus:
Un article très complet de The Economist: Virtual currency – Bits and bobs et un autre du Monde, au titre farfelu (car en liquide non plus il n’y a pas besoin des banques…) : Avec Bitcoin, payer et vendre sans lesbanques



1 En pratique les Bitcoin peuvent être déposés chez un genre de coffre fort virtuel (en espérant qu’il ne se fasse pas hacker ou qu’il ne fasse pas faillite) ou bien gardés au chaud sur son ordinateur (mais alors mieux vaut faire des copies, des fois qu’un virus passe par là…)

8 commentaires:

Marie a dit…

A quand la possibilité de spéculer sur le Bitcoin et des variations face aux autres devises ( http://www.trader-forex.fr/tableau-cotations/ ) ? :)

Economiam a dit…

C'est effectivement tentant vu les larges fluctuations (passage rapide de 33 a 3$, puis nouvelle remontée a 40$ recemment. En plus il est possible de jouer non seulement contre le dollar (https://mtgox.com/), mais aussi contre l'or (www.coinabul.com/).



Par contre, vu le peu de liquidité, j'ai peur que le bid-offer soit franchement baleze. De plus, il y a des risques operationels forts (Mt Gox s'est fait hacker recemment). Enfin, comme il n'existe pas de systeme de pret, pas moyen de prendre du leverage.


Bref, dur de se faire de l'argent! Mais bon, "no pain, no gain" comme on dit!

Véronique a dit…

J'aime beaucoup l'idée de "copier" sers bitcoins..! Très supérieur aux billets de banque...
Mais pourquoi un commerçant on-line accepterait-il de vendre un produit contre une monnaie virtuelle qu'il ne peut pas ensuite échanger contre une monnaie réelle? En bout de chaîne, il y aura toujours un fournisseur pour apporter quelque chose issu du monde réel... ne serait-ce que le travail des employés qu'il devra payer en monnaie sonnante et trébuchante..

Economiam a dit…

J'ai l'impression que les entreprises acceptent les Bitcoins surtout pour montrer leurs qualités de citoyen du web. Mais c'est clair que c'est beaucoup de risques (si la monnaie s'effondre) pour peu de retour (avoir l'air cool). En resumé, pour le moment, au dela de l'effet de mode ca a un peu de mal a decoller! :)

jean a dit…

mais c'est qui qui vend les bitcoins tout frais? Celui qui les "fabrique" et qui les vend en premier doit étre riche et risque de le devenir encore d'avantage! Quand ces bitcoins ou codes sont générés à qui appartiennes t'ils? Je n'ai vu aucune question ni aucune info sur le sujet, suis-je le seul à me poser la question?

Economiam a dit…

Les bitcoins tout frais recompensent la premiere personne qui reussit a ajouter une nouvelle transaction au registre. C'est donc un participant au reseau qui devient le proprietaire de 50 nouveaux Bitcoins. Ceux-ci ne sont pas echangés contre quoi que ce soit, en d'autres termes, ils tombent du ciel, et n'enrichissent personne d'autre que celui qui les recoit. Il n'y a donc personne qui fabrique ces pieces (contrairement a nos Etats occidentaux ou l'argent est fabriqué et controlé par les banques centrales).
Pour les tous premiers bitcoin, l'histoire est assez floue (https://en.bitcoin.it/wiki/History), il y a bien un premiere personne (ou collectif) qui a cree la monnaie et se l'est attribuee, mais probablement pas plus que de quoi s'acheter une pizza...
J'espere que ca eclaircit le sujet!

david jullian a dit…

Le nombre d'adresse est limiter par le nombre de BiCoin. Mais comment se crée l'adresse mise à part le calcul de Hash, le système vérifie t'il si l'adresse existe si elle n'a pas servie pendant temps de décennies... Car quand un compte et perdu avec son contenue BitCoin ne sera t'il jamais réinitialiser et les BitCoin remise en service au bout de x décennie siècle... "jamais de jamais ou jamais relatif"?

Olivier_W a dit…

Voila qui explique la moitie du trafic bitcoin :
http://topinfopost.com/2013/10/03/fbi-arrests-29-year-old-mastermind-of-billion-dollar-internet-drug-blackmarket

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