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mercredi 4 juin 2014

Alstom : génie français ou perpétuation de la stagnation ?

Dans un article en partie composé dans une rame du Tube londonien construite par Alstom, Economiam s'intéresse aux offres d'achat de GE et Siemens sur le « fleuron de l'industrie française » comme le dit Arnaud Montebourg.
 

Le Général Electrique aura-t-il l'Alsace ?

Chez Alstom, on laisse la porte ouverte !
Le printemps, c'est toujours un peu le temps des romances qui naissent. Ce n'est donc peut-être pas un hasard que ces deux derniers mois d'avril et de mai aient été le temps des méga fusions-acquisitions transatlantiques. En effet, à quelques jours d'intervalles, deux groupes américains, l'industriel General Electric (GE) et le pharmaceutique Pfizer, ont commencé un pas de deux avec des entreprises européennes. Le premier convoite la branche énergie du groupe français Alstom1 pour un montant de 16 à 17 milliards de dollars tandis que le second veut absorber le laboratoire anglo-suédois AstraZeneca (AZ) pour $119 milliards.

On pourrait analyser longuement les bienfaits potentiels de ces transactions pour les acheteurs. Cependant, pour rejoindre un sujet dont nous avons parlé précédemment, ces groupes ont surtout un problème de riche
 : ils ont cash à rapatrier, beaucoup de cash, qui est en particulier conservé en dehors des États-Unis2. Pour ne pas avoir à le perdre en impôts, la solution est simple : maintenir cet argent en place et l'investir dans une cible appétissante.


Apparemment, même Belfort va être compliqué...

Sauf que l'Etat français semble franchement circonspect par rapport à cette idylle, et convoque aussi sec le PDG de GE, Jeff Immelt, pour s'expliquer de ses projets. La tournure des événements ne dépareillerait dans une comédie de Molière, et les médias étrangers, dont par exemple CNBC, se gaussent déjà de l'ire gauloise.

Mais coup de théâtre quelques jours plus tard, c'est le parlement britannique qui convoque les PDG de Pfizer et AZ. Car oui, il n'y a pas que l'Etat français qui se mêle de fusion-acquisition !


Alors, pour ou contre l'intervention de l'Etat dans ce type d'affaire de grande ampleur ? Le patriotisme économique a-t-il un sens en ces temps de libéralisation ? Chez Economiam, on apporte rarement des réponses à l'emporte pièce. Nous répondrons donc par un petit "oui", qualifié par un grand "mais". Comme toujours, les commentaires sont les bienvenus !


Ils viennent jusque dans nos bras...

Les arguments en faveur 
  1. On peut légitimement penser que le rôle de l'Etat français n'est pas de prendre à sa charge la croissance mondiale en facilitant des synergies logiques entre groupe industriels mondiaux, mais d'assurer l'activité économique nécessaire à la prospérité de la France. Ceci passe en particulier par s'assurer de la pérennité des externalités positives sur son territoire, qui sont à trouver du côté de l'emploi bien sûr mais surtout de la recherche. Car si, au travers des médias, l'on se figure ici des ouvriers laissés sur le carreau, Alstom possède principalement des équipements lourds (hydroélectrique, nucléaire...) qui ne se délocalisent pas comme ça. De surcroît, plus de la moitié de ses employés sont des ingénieurs et cadres, et si d'aventure GE choisit de réorganiser sa matière grise (comme Pfizer a pu le faire par le passé), le véritable impact sera sur les débouchés de haut niveau pour la population française.
  2. Les autres ne se privent pas de se mêler des affaires privées quand cela les arrange. Le Congrès et le Sénat américains sont coutumiers de convoquer les puissants, et Jeff Immelt n'a pas échappé à cette pratique. De notre côté de l'Atlantique, les lois de différents pays européens (en particulier en Allemagne) leur laissent quand même une certaine marge de manœuvre.
  3. Se mêler des affaires d'Alstom, ça a déjà marché en 2004. Qu’on attribue plus ou moins de mérite à Nicolas Sarkozy, l'Etat a injecté €720m en 2004 avant de sortir deux ans plus tard avec une plus-value de €1.2mds, et une entreprise à flot. Cela dit, c’est peut être l’exception qui confirme la règle…
Pour résumer, on dira oui à un interventionnisme éclairé de l'Etat car qui d'autre peut s'imposer légitimement comme le garant de l'intérêt général ? Le mot crucial étant « éclairé »...


A qui profite le crime ?

Car on peut toujours regarder le revers de la médaille 
  1. A commencer par se poser la question : quels intérêts défend-on vraiment ici ? Il est possible en particulier que Bouygues, actionnaire majoritaire avec près de 30% d’Alstom, soit le plus grand bénéficiaire de la surenchère imposée par l’Etat français entre GE et Siemens. De plus, entre le clientélisme électoral et le pantouflage (comme par exemple ces conseillers de David Cameron, le premier ministre britannique, qui ont travaillé pour Pfizer), il est difficile de croire que les intentions des politiques sont toujours mues par le bien commun.
  2. Les motivations des politiciens peuvent apparaître d’autant plus obscures qu’on assiste ici à un étrange retournement de situation : il y a 10 ans il s'agissait de sauver Alstom de l'emprise teutonne de Siemens. Aujourd'hui il s'agit de lui faire échapper aux griffes de l'impérialisme américain en se jetant dans les bras de la soudainement européenne ... Siemens !
  3. Lorsqu’on donne l’impression de subordonner la logique industrielle à des lubies politiciennes, cela décourage l'investissement en particulier étranger. Ceci est problématique parce que le renouvellement du stock de capital ne peut pas se baser uniquement sur l'argent de l'Etat, qui n'en a pas beaucoup. Sans parler des entraves potentielles à la libre entreprise et des conflits avec les règlements européens…
  4. Enfin, tout ce manège médiatique donne l’impression que la France est un petit pays qui ne se serait pas adapté aux réalités du monde qui l’entoure. D’une part, le patron d'une entreprise, aussi internationale soit elle, mérite-t-il d'avoir le Président de la République comme interlocuteur privilégié ? La question se pose... Ensuite, le profil des patrons des différentes entreprises est particulièrement instructif : du coté d'Alstom Patrick Kron, ancien du Corps des Mines, semble avoir du mal à se dissocier de la tutelle gouvernementale. Tandis que l’autre côté, tant Ian Read, l’Ecossais qui dirige Pfizer que Pascal Soriot, le Français à la tête d’AZ, sont des bourlingueurs qui s'insèrent dans une logique mondiale.
La frontière est donc ténue entre l'interventionnisme éclairé et le protectionnisme corrompu. Et basculer dans ce second cas est la pire chose qui puisse arriver : cela freine la destruction créatrice et c'est une recette efficace pour la stagnation ou, voire pire, le détournement des richesses vers une élite.

Cependant en ce qui concerne Alstom, chez Economiam on pense que la France a raison de fourrer son nez dans les affaires de GE et d’Alstom. Même on s’y prend comme des peintres !

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1. Alstom, anciennement GEC-Alsthom, est à l'origine le résultat de la fusion entre la Société Alsacienne de Constructions Mécaniques et de Thomson-Houston dans les années 20. Il est à noter que General Electric a été impliquée dans les premiers développements de la compagnie, comme quoi l'histoire est un perpétuel recommencement.
2. Certains analystes sont plus dubitatifs au vu de la structure du deal, mais cela serait étonnant de laisser passer l'occasion.

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